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Gues SDK WUFC PIIB - Xplicit Grafx N°8

  • Publié par Mr Potato
  • mer 31 mars 10 - 12:09
  • ITW

Un peu de texte pour changer, et montrer une autre dimension (plus sociale) du graffiti..

Spécialisé dans la peinture des trains de la banlieue parisienne dans les années 90 en compagnie de son groupe SDK, Gues à depuis changer de cible et de méthode : il réserve désormais ces pièces pour les systèmes ferroviaires des pays alentours et s'acharne désormais sans relâche sur les rues de la capitale en compagnie de son acolyte Se, armé de quelques caps d'origine et répétant à l'infini son immuable throw up. Il était grand temps de zoomer sur son travail, dont les lettrages originaux aux lignes épurées ont au cours de ces 10 dernières années inspirés de nombreux adeptes. Connaissant les arguments tranchés et incisifs de cet artiste hors norme, nous avons choisi d'abandonner le mode d'interview classique, et avons donc demandé à Gues de nous livrer son point de vue sur le véritable  sens qu'il donne  au Graffiti...Une analyse pertinente qui prend définitivement e contre-pied des clichés que l'on nous rabâche habituellement sur les taggers.

Il me semble que le writing dans la presse et les ouvrages sur le graffiti disponibles actuellement ne s'encombrent guère d'écritures. A trop réfléchir, passerait-on pour des abrutis ? On trouve de belles images certes, mais peu de textes, et encore plus rarement prêts à prendre un risque théorique. Pourquoi ?

Sur le ring de lieux communs, à ma droite : fabolous fourre-tout, à ma gauche : king zoulou hip-hop.

Le graffiti est le plus souvent assimilé aux autres pratiques urbaines (affiches, pochoirs, slogans...) sans plus de distinctions, pourtant elles n'ont qu'un point commun : leur espace d'expression, c'est à dire précisément le milieu urbain.  Et, s'il est apparu en France en  même temps que la culture hip-hop importée des USA - dans des émissions telles que celle de Sidney en 1984 - il ne lui est pourtant pas réductible.

Ainsi parasité de part et d'autre, le graffiti se retrouve aux mains des médias comme signe d'un malaise des banlieues... Il ne serait qu'une parenthèse dans la vie d'un adolescent et donc exclusivement le fait d'une catégorie socio-culturelle précise. Pour les plus talentueux, le graffiti serait une étape vers la galerie rive gauche, tandis que le tag serait à bannir  au rang de simple vandalisme.

Ramassis de conneries : c'est précisément le genre d'associations ou plutôt de glissement de sens, qui créent une de "grand n'importe quoi". Une confusion généralisée qui empêche toute analyse d'un phénomène complexe parce que paradoxal (comme l'énonçait Baudrillard, qualifiant le graffiti de pratique "gratuite" dans tous les sens du terme).

Prenons des risques donc, et exposons le paradoxe du graffiti en trois temps, trois mouvements :

- Pratique égocentrique mais anonyme

- Pratique vide de sens mais pas insensée

- Pratique politique sans message

Round 1 : Tag = Vandalisme / Graff = Art.

La "pièce" (1)  n'est pas l'aboutissement d'un long processus de création esthétique dont les étapes seraient le "tag"(2)  et le "throw up"(3) . Ce sont 3 formes spécifiques.

(1) Graffiti complexe, avec plusieures couleurs, highlights, fond et/ou persos

(2) Simple signature à la bombe ou au marqueur

(3) Graffiti plus "basique" que la pièce, lettres constituées d'un trait ou deux, pour prévilégier la rapidité d'éxecution en vandal

Le choix du support urbain pour chacune d'elles ne seras pas une histoire d'embellissement mais au contraire une volonté de lui échapper, refuser les limites. Le graffiti sort du cadre, s'en moque, il lui dégueule dessus (to throw up = vomir en anglais). Les tentatives faites pour lui réserver des espaces autorisés sont en ce sens proprement absurdes, il ne s'agit pas de déco mais de s'approprier l'environnement. Le critère de sélection du support, sera peut-être de l'ordre de la prise de risque mais c'est surtout la visibilité qui prévaudra.

Round 2 : "Là où ça pisse...". Interpréter le graffiti comme une volonté de marquer un territoire, pas si simple !

Un peu d'histoire : initialement le "tag" désigne l'étiquette collée sur un bagage où figurent nom, adresse et destination du propriétaire. Cette fonction d'étiquetage est effectivement reprise par certains gangs américains ou brésiliens qui utilisent le tag comme outil d'appropriation symbolique d'un territoire, inscription cryptée qui établit une géographie urbaine parallèle.

Ces inscriptions, pour les SDF (les hobbos) comme pour les gangs latino-américains, transmettent un message secret visant à n'être compris que par les initiés. Elles finissent par créer un nouveau code, parasite du réseau  signalétique urbain.

Cette notion de code est commune aux taggueurs. Pour eux, il ne s'agit pas de donner des informations, juste d'affirmer une identité - en l'occurrence d'emprunt - cryptée graphiquement et de la répéter le plus possible et le plus visiblement possible.

Et il ne s'agit pas de luttes de territoires, cette interprétation est réfutée par la mobilité même liée au graffiti. En effet, inspiré par l'histoire new yorkaise de cette pratique, les métros, trains de banlieue et autres camions sont autant de cibles privilégiées. Les tags, les flops et les pièces circulent et envahissent tout l'espace visuel, il n'est plus question de frontières. Le graffiteur "frappe" et "détruit" son environnement pour se le réapproprier, ce n'est plus simplement une lutte entre factions rivales mais une volonté de saturation de  l'espace urbain.

Par ailleurs, il ne ce soucie pas de reconnaissance sociale ou populaire. Seul le nom crypté se répète, circule, est visible et acquiert une notoriété.

Round 3 : "Love me tender". Quand la peur s'installe...

Mr. Lambda s'installe dans un wagon aux vitres rayées ou passées à l'acide, sur les sièges des tags illisibles à l''encre dégoulinante, les lettres se mélangent, la graphie est incisive... Donc visuellement agressive. Mr. Lambda a l'impression d'évoluer dans une scène de crime reconstituée... Comme à la télé. Dans sa tête le cheminement est simple, "si les autorités laissent commettre de tels actes...". Doucement, insidieusement s'installe la suite :  viols en réunion, vols avec violence, pour Mr. Lambda le dérapage est possible. Et la pression est d'autant plus  forte que le taggeur choisit par nécessité d'être invisible.

Mais une vitre rayée aurait pu être brisée, un siège taggué lacéré... Il ne s'agit donc que du premier degré de l'échelle du vandalisme : la violence symbolique.

Fantôme du réseau, le taggeur reste dans l'ombre d'abord pour salir, envahir c'est à dire pour défaire le "bon ordre des choses", mais aussi et surtout à un niveau plus profond pour défaire l'ordre des signes.

En effet, si aucun secret ni message ne se cache derrière ces codes, juste un pseudo qui renvoie de façon de façon anecdotique à une personne et que Mr. Lambda ne parvient pas à lire, le chaos s'installe, et ça, inscrit dans ce réseau surcodé qu'est le milieux urbain, ça effraie.

Non seulement Mr. Lambda se retrouve dans la position de l'analphabète perdu dans un réseau dont il n'as pas la clé, mais en plus le graffiti par la saturation semble vouloir occulter la lisibilité du code qu'il connait, l'autre : L'officiel, la signalétique élaborée des réseaux urbains. En résumé Mr. Lambda ne capte plus rien.

Et là c'est le drame : défaire l'ordre des signes et la confusion règne.

Mon explication : Ces signes parasites ne répondent en effet à aucune autre logique que la multiplication, ces inscriptions par leur refus même d'une élaboration syntaxique du sens semblent, par contact, faire exploser l'organisation spatiale des réseaux urbains.

Chers lecteurs, accrochez-vous : le geste est politique mais ne se revendique pas comme tel, pas de slogan, pas de message. Il est politique-par conséquence, sans faire exprès, précisément parce que son cryptage tourne à vide, parce qu'il crée un désordre des signes.

Round 4 : "Les corps s'essouflent, abandon par chaos."



Reste  la question de l'efficacité de tout ça l'efficacité du geste politique. Foucault (le philosophe Michel, pas Jean-Pierre..) a posé une hypothèse intéressante en démontrant que toute démocratie à besoin pour survivre d'un espace de subversion, une soupape au système précisément au cœur même du système...

Défaire l'ordre des signes, et puis quoi ?

Certains graffiteurs s'enferment dans le réseau et utilisent leur parfait petit matériel de survie en milieu urbain (masques, gants, pince coupante). Les rats du métro sont les rares témoins de leurs exploits. Les efforts et les moyens propre au petit banditisme (vol des clefs du métro, grillages coupés, étal de peinture en bombe dévalisés, visages masqués...) sont réellement disproportionnés, voire absurdes, par rapport au but à atteindre. Que ce passerait-il si cette détermination et cette énergie étaient utilisées à d'autre fins ? Révolte, terrorisme, guérilla urbaine ?

"- Des jeunes gens s'épuisent dans les tunnels des métros des grandes capitales !"

"- Tant mieux ! Ils utilisent pas cette énergie pour déstabiliser quoi que ce soit..."

Les vitres sont rayées, les trains sont peints, quelques voitures brulent, les drogues circulent et la caravane passe... En conclusion, et c'est un comble : la présence du graffiti peut être comprise comme un des espace de subversion inhérents au bon fonctionnement d'un système démocratique (soupape Vs. Statu Quo), c'est à dire que quelque part il lui est utile.

Le serpent se mord la queue et en plus il s'en moque.

Gues. 2008

 

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